La première raison qui m’a conduit à écrire sur les hackers – ces concepteurs et ingénieurs pour qui l’informatique est la chose la plus importante au monde -, c’est l’admiration que j’éprouve pour eux. Si, dans cet univers, certains utilisent le terme hacker de manière péjorative, pour stigmatiser des nerds asociaux bricolant des codes tordus ou contrefaits, j’avais une opinion bien différente. S’ils ne payaient pas de mine, ils n’en étaient pas moins des aventuriers, des visionnaires, des casse-cou, des artistes… Et les seuls en mesure d’expliquer pourquoi un ordinateur est un outil révolutionnaire. Tous savaient, à des degrés divers, jusqu’où on peut aller quand on plonge au plus profond de l’esprit des hackers: jusqu’à l’infini. Chemin faisant, j’ai compris pourquoi cette étiquette de hackers, loin d’être péjorative, était pour eux un motif de fierté.
J’ai rencontré beaucoup de ces explorateurs, depuis ceux qui dans les années 1950 avaient côtoyé des machines valant des millions de dollars, jusqu’aux jeunes surdoués qui aujourd’hui réinventent l’informatique dans leur chambre de bonne. Ils partagent tous une même philosophie, une idée simple et élégante comme la logique qui gouverne l’informatique: l’ouverture, le partage, le refus de l’autorité, et la nécessité d’agir par soi-même, quoi qu’il en coûte, pour changer le monde. C’est ce que j’appelle l’Ethique des hackers. C’est un leg précieux qu’ils ont laissé même aux gens qui ne s’intéressent pas aux ordinateurs.
Cette éthique n’a guère produit de pesants manifestes; les hackers se sont contentés de la mettre en pratique des leur vie. J’aimerais, dans ce livre, présenter ces gens qui ont réellement vécu la magie des ordinateurs afin de la faire partager au plus grand nombre. Ils sont tous différents: les hackers du laboratoire d’intelligence artificielle au MIT dans les années 1950 et 1960, les bricoleurs plus pragmatiques des années 1970 en Californie, et les jeunes gamers qui se sont fait un nom dans les années 1980.
Il ne s’agit en aucun cas, pour moi, de retracer l’histoire officielle de l’informatique. Au contraire, vous rencontrerez ici des gens méconnus, mais qui ont compté dans cette aventure. Ce sont eux qui ont le mieux compris les immenses potentialités de ces machines et le bouleversement que tout cela impliquait. Ce sont eux, les nouveaux héros.
Des hackers comme Richard Greenblatt, Bill Gosper, Lee Felsenstein ou John Harris incarnent l’âme de l’informatique. Je crois que leur histoire – ou du moins celle de leurs expériences, de leur foi parfois naïve en un autre monde qui pourrait communiquer avec le nôtre – résume ce que fut véritablement la révolution informatique.
Steven Levy, Préface de L’Ethique des Hackers.